Littérature

Une histoire politique du pantalon
Christine Bard
L'historienne Christine Bard publie aux éditions du Seuil Une histoire politique du pantalon. Parmi tout ce qui constitue l'organisation des sociétés, les coutumes vestimentaires ont une importance évidente. Ce que l'on porte est ce que l'on voit immédiatement - et, réciproquement, ce que l'on donne à voir. Par conséquent, l'étude d'un vêtement aussi symbolique que le pantalon, longtemps associé à la masculinité, peut éclairer les rapports entre les genres - et, par rebond, celle de la braguette, plus anecdotique, pourrait fournir une ouverture précieuse sur les moeurs. Avec de tels objets, aussi inattendus que centraux dans la division des apparences, l'histoire de notre culture matérielle peut éveiller chez ses lecteurs une fièvre comparable à des soldes d'automne. Cela dépend comment on la fait.
« Le costume reflète l'ordre social et le crée. » Avec cette remarque apparemment simple, Christine Bard soulève d'emblée plusieurs problèmes de méthode qu'elle affronte avec courage, sans toujours les expliciter. Comment aborder le rapport complexe, en partie circulaire, entre les rapports sociaux et la manière dont ils se manifestent sous la forme de signes ? Si le symbole révèle le rapport social, est-ce qu'il suffit de jouer avec le symbole pour que le rapport évolue ? La difficulté de la question augmente dans le cas du vêtement. En effet, la domination masculine et l'infériorisation des femmes s'expriment naturellement à travers lui. Pourtant, une femme qui met une jupe ne s'affirme pas toujours dominée pour autant, et même, par un curieux retournement de situation, le « retour à la jupe » peut être revendiqué comme un acte militant en faveur de la liberté des femmes.
Il y a donc une tectonique des signes, comme il y a une tectonique des genres : être un homme ou une femme n'est pas une évidence biologique, c'est une construction culturelle qui évolue avec les symboles. Mais les symboles à leur tour ne tiennent pas d'eux-mêmes leur charge signifiante. Ainsi, le pantalon est certes un vêtement fermé, alors que la jupe est un vêtement ouvert. La jupe soulevée est le cauchemar des femmes au quotidien et elle initie les petites filles à une dissymétrie vestimentaire. Mais sa signification peut aussi bien être entièrement retournée.
La grande difficulté de ce genre d'histoire est donc la réversibilité des phénomènes : on peut interpréter comme une défaite symbolique ce qui est en réalité une victoire, ou inversement. C'est pourquoi Christine Bard cite (sans entièrement la partager) la théorie de la « grande renonciation masculine » développée par le psychanalyste britannique John Carl Flügel dans les années 1930. Selon lui, à la fin du XVIIIe siècle, les femmes ont remporté une grande victoire avec l'adoption du principe de l'exhibition érotique (elles obtiennent la liberté de se montrer), tandis que les hommes ont subi une grave défaite en renonçant brutalement à leur coquetterie vestimentaire (perdant ainsi la liberté de séduire). L'histoire du pantalon devrait donc prendre en compte cette renonciation, ce moment où les hommes ont cessé de jouer des formes et des couleurs. De cette lecture à contre-courant, l'historienne aboutit à une autre, mieux connue mais aussi mieux fondée du point de vue des rapports réels : elle remarque que, dans le même temps, la législation interdit aux femmes le costume masculin, de sorte que la distinction des vêtements selon le sexe obtient vers 1800 un appui juridique. C'est le début d'une différenciation des apparences qui, en cherchant à se radicaliser, n'aboutira finalement qu'à sa propre explosion.
Ainsi, puisque le pantalon est un marqueur essentiel du genre durant les deux derniers siècles, on ne peut que suivre les significations multiples et contradictoires auxquelles il se trouve successivement associé. Que découvre-t-on ? À la Révolution, il est étroitement lié aux valeurs républicaines et à un « peuple » fantasmé. Il se répand à la faveur du goût pour les uniformes, mais laisse de côté les citoyennes. Éprises de l'Antiquité, celles-ci jouent de voilages transparents. Au cours du XIXe siècle, le pantalon devient l'expression d'un ordre bourgeois et patriarcal, où la femme qui ose le porter est nécessairement une menace. Puis viennent George Sand, Rosa Bonheur, Colette et autres émancipées qui contribuent à le rendre acceptable. À la Belle Époque, le costume masculin concentre ainsi des logiques hétérogènes qui contribuent à troubler son rôle de différenciation : ce sont celles du féminisme, du sport et de l'homosexualité - démarches qui restent néanmoins très largement minoritaires. La véritable percée du pantalon a lieu dans les années 1950, mais il reste et restera, conformément au personnage de la commedia dell'arte auquel il doit son nom, « celui qui joue toutes sortes de rôles pour parvenir à ses fins ». Quelles fins ? Selon Christine Bard, la liberté de l'individu et l'égalité des sexes.
Quid de la braguette ? Comme l'indique un « beau » livre qui lui est exclusivement consacré (cf. références ci-dessous), celle-ci apparaît au XVe siècle sous la forme d'une petite poche (braca, en latin) lorsque les robes des hommes disparaissent au profit des bas de chausse. Dans ce livre d'images plus que de texte, l'iconographie est ludique, parfois vulgaire, et le texte de Colette Gouvion, parfois amusant, est trop souvent naïf. Avec la même naïveté que celle-ci, qui décrit « l'irrésistible ascension du sexe libéré » (Michel Foucault aurait-il donc écrit en vain ?), Christine Bard note : « La guerre des sexes est donc déclarée. »
On regrette que les études de genre considèrent souvent que les membres d'une société jouent les un(e)s contre les autres, comme si la défaite d'un groupe marquait la victoire de l'autre. Il semble plus probable que, si guerre il y a, elle oppose moins les femmes et les hommes que les individus et les structures - ou, pour parler plus proprement, les dispositifs de pouvoir et les protocoles d'action. Oui ! L'audace de Christine Bard est de considérer le costume « comme un langage ayant une portée politique ». Qui parle quand je m'habille ? Et à qui, à quoi s'adresse-t-on en faisant ses choix face au miroir ? Ces questions sont si complexes qu'on ne peut y répondre qu'en les simplifiant. En cette affaire, il faut admettre qu'il y a plusieurs niveaux non compatibles d'analyse, qui entraînent des conclusions logiquement opposées mais également valides - comparables en cela aux vêtements superposés qui nous recouvrent et nous révèlent.
Maxime Rovère