Littérature

La poétesse née en Syrie, invitée au festival des "Voix vives" à Sète, peint la douleur et la passion. Tandis que Les Âmes aux pieds nus rapporte avec justesse et pudeur les souffrances de femmes rencontrées en banlieue parisiennes, Maram al-Masri évoque dans Par la fontaine de ma bouche les grâces d'un amour charnel.
Une voix, nue, humaine, libre et souveraine, s’est levée : une voix de femme. Cette voix, c’est celle de Maram al-Masri, poète née en Syrie à Lattaquié en 1962, exilée à Paris depuis 1982. Mais ce n’est pas de cet exil-là que parle Maram al-Masri, pas non plus des femmes d’un Orient fantasmé. Avec Les Âmes aux pieds nus , elle rend la parole à des dizaines de femmes de tout âge et de toutes conditions à qui on l’a confisquée, exilées dans leur propre vie car victimes de la violence qui leur est faite par de trop nombreux bourreaux domestiques. Ce pourrait être un cri de révolte ou une longue plainte, la poète pourrait user d’effets poétiques et lyriques, d’emphase et de grandiloquence, c’est tout l’inverse. Le vers est bref, clair, sobre, pour dire l’émotion contenue, la langue est celle d’un quotidien économe de mots, et c’est, justement, de cette économie et de cette pudeur retenue que naissent la justesse des images et la puissance du poème. Ces intimes blessures béantes, Maram al-Masri les recouvre avec délicatesse d’un voile de tendresse et les soigne d’une caresse d’amour, car, même dans le manque et la douleur, c’est bien l’amour que dit la poète. C’est encore une femme que chante Maram al-Masri dans Par la fontaine de ma bouche , une femme aimée d’un amour charnel. Il n’est question ici que de corps à corps, de caresses, de passion et d’émotion, d’érotisme enfin. Ce sont les chants d’amour du Cantique des cantiques glorifiant le ventre, les seins, le sexe, exaltant le désir, le plaisir et la jouissance. Maram al-Masri nous parlerait-elle des amours saphiques et, de la fontaine de sa bouche, seraient-ce les mots de Lesbos qui couleraient ? Oui, à condition d’entendre que c’est avec La Poésie que Maram al-Masri fait l’amour. Oui, si l’on comprend qu’elle se donne tout entière à la poésie en même temps que la poésie s’incarne en elle et par elle, dans une relation égalitaire. Sapho, oui, plutôt qu’Ishtar ou Shéhérazade, auxquelles elle se réfère pourtant, ou plus exactement une Louise Labé de la modernité, renouant avec le lyrisme incandescent de la poète de l’Antiquité et, comme elles deux, nous rappelant que la poésie est féminine.
Alain-Jacques Lacot