Littérature

Arto Paasilinna écrit comme il boit : vite, beaucoup et régulièrement. Tous les ans, le 18 mai, il remet à son éditeur son dernier livre, lequel est publié en septembre et marque, avec la chute des feuilles et l’augmentation du prix des fournitures scolaires, les débuts de l’automne.
Ensuite, il fête cela. En 2007, recevant des journalistes français pour la sortie du Bestial Serviteur du pasteur Huuskonen , il a plus tutoyé les liqueurs locales qu’il ne s’est livré à l’exégèse. On a pu déduire de son regard soudain mouillé de larmes devant un oiseau qu’il aimait les animaux, de ses mains vite égarées vers nos consoeurs qu’il ne répugnait pas aux jolies femmes, et de l’amabilité avec laquelle il a ouvert sa maison de campagne (et la cave y attenant) qu’il était partageur. Puis, ayant épuisé ses interlocuteurs, il est parti dans les rues de Helsinki, où il n’a eu nulle peine à trouver de plus robustes compagnons de beuverie pour l’accompagner jusqu’au petit matin. Les aperçus sur son oeuvre furent du coup plus sommaires, et on arriva seulement à lui faire dire qu’elle était « picaresque ».
Est-ce suffisant pour expliquer son immense succès dans sa Finlande natale, et pourquoi ses livres, à la suite du célèbre Lièvre de Vatanen , sont en train de conquérir le monde ? Peut-être. Car la truculence parfois un peu hébétée dont il semble avoir fait un mode de vie baigne ses romans, et en particulier ce Potager des malfaiteurs ayant échappé à la pendaison , datant de 1997 mais dernier à sortir en France. Les éditions Denoël, qui ont entrepris de publier un de ses livres tous les ans - ce qui est une excellente idée -, le font selon une logique peu limpide. Après Le Bestial Serviteur du pasteur Huuskonen , écrit en 1994 et traduit en 2007, sont sortis Le Cantique de l’apocalypse joyeuse , écrit en 1992, Les Dix Femmes de l’industriel Rauno Rämekorpi , écrit en 2001, Sang chaud, nerfs d’acier , écrit en 2006, et aujourd’hui ce Potager millésimé 1997. Il est un peu difficile, dans ces conditions, de mesurer l’évolution d’une oeuvre. On peut tout de même avancer l’hypothèse que, grinçants et plutôt linéaires au début ( Le Lièvre de Vatanen ou Un homme heureux ), les romans de Paasilinna sont devenus de plus en plus foisonnants, déjantés, proches parfois de l’univers d’un John Irving ou d’un Carl Hiaasen.
Le héros du Potager des malfaiteurs ayant échappé à la pendaison , l’inspecteur principal de la sécurité nationale finlandaise Jalmari Jyllänketo, est envoyé en mission dans un centre de culture biologique, l’« étang aux rennes ». Pour ce faire, il se fait passer pour un contrôleur biologique, stratagème qui lui permettra de découvrir un mode de fonctionnement un peu particulier : vu le prix de la main-d’oeuvre, et pour faire donner son plein rendement à une champignonnière située au fond d’une mine, les responsables du centre font travailler comme esclaves des malfaiteurs divers qu’ils séquestrent. Loin d’être choqué par le procédé, l’inspecteur principal va faire prospérer ce système d’exploitation, et ce d’autant plus volontiers qu’il n’est pas insensible au charme de l’horticultrice Sanna Saarinen.
On retrouve dans ce roman très drôle la fluidité narrative habituelle de Paasilinna. Certains de ses procédés comiques sont devenus familiers à ses lecteurs : toujours faire précéder le nom complet de ses héros de leur fonction, ou raconter de la façon la plus plate et la plus neutre possible les situations les plus extravagantes. Le ton, lui, change. Comme ceux du Cantique de l’apocalypse joyeuse ou ceux du plus amer Un homme heureux , les héros du Potager sont pris dans des aventures qui les amènent à un changement total de vie, lequel correspond souvent à une plus grande fusion avec la nature. Mais, de livre en livre, les romans sont de plus en plus moqueurs, comme si Paasilinna lui-même prenait aussi de moins en moins au sérieux cette capacité de refaire sa vie. Et paradoxalement grandit, en même temps que leur drôlerie, le nihilisme de ces romans uniques, nihilisme que même une « conscience » écologique très clairement affirmée parvient de plus en plus mal à masquer.