Le film de Moussa Touré vient nous cueillir là où l'on ne l'attendait pas.
Déjà le thème : ces milliers de Sénégalais et d'Africains qui décident de traverser l'océan dans d'immenses pirogues en bois, sans abris ni confort, parfois sans réelles connaissances de la mer. Bravant tous les dangers. Ne sachant parfois pas nager.
C'est une réalité, et des documentaires et reportages existent sur le sujet. Mais jamais nous n'avons vécu cette traversée de l'intérieur. Nous connaissons les images de ceux qui partent, et de ceux qui arrivent. Mais pendant cette traversée, achetée à prix d'or, que se passe-t-il ? Les hommes ont laissé femme et enfants au pays, ils s'en vont vers ce paradis promis, ils ne parlent pas tous le même dialecte, certains n'ont aucune idée de ce qu'est une traversée en mer...
Le passeur, homme cynique et vénal, fait la traversée avec les hommes. Moussa Touré compare son personnage à l'Etat sénégalais qui a préféré laisser partir les jeunes, et toucher de l'argent de l'Espagne pour qu'ils restent au pays, plutôt que de les faire travailler.
Certains passages du film nous font nous interroger sur notre humanité, sur nos propres limites face à notre survie. Quand la pirogue croise au loin une autre pirogue en détresse, et que les hommes entendent les cris, les appels à l'aide des naufragés assoiffés et désespérés... On ne peut qu'imaginer ce qu'ont dû vivre comme dilemme ces marins de fortune. Vivre ou aider ? Il faut choisir. Vivre avec la culpabilité d'être partis, d'avoir détourné le regard, ou aider ces hommes et abandonner tout espoir de s'en sortir, les rations étant limitées et la pirogue déjà surchargée...
La question se pose aussi sur ceux qui restent au pays, comment ces familles vivent-elles le départ de leurs proches, dans de telles conditions et pour une durée indéterminée ? Et les femmes ? Le film montre que les femmes prennent aussi des décisions radicales et fortes. Un équilibre doucement ramené à niveau, un pas de la part de ce réalisateur qui remue avec brio les clichés et les idées reçues.
Un film à voir donc, autant pour sa sensibilité et sa vision lucide que pour ses comédiens, parfaitement choisis.